Les musulmans français sont de plus en plus souvent victimes de discriminations. C'est ce que révèle un rapport alarmant,
publié le 24 avril par Amnesty International, intitulé "Choix et
préjugés: la discrimination à l'égard des musulmans en Europe". Avec la
Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne et la Suisse, la France fait partie
des cinq pays épinglés par l'organisation internationale de défense des
droits de l'homme qui affirme que "les stéréotypes liés aux pratiques
religieuses et culturelles musulmanes ont entraîné l’apparition de
discriminations sur le marché du travail ou dans les écoles, à l’égard
des personnes portant des tenues couramment associées à l’islam".
Fruit de quatre ans de travail, le rapport d'Amnesty
s'appuie sur des enquêtes de terrain, réalisées par des juristes et des
sociologues, étayées par des témoignages et des statistiques
officielles. Pour la France, l'organisation s'est notamment fondée sur
les travaux de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et
pour l'égalité (Halde) et de la Commission nationale consultative des
droits de l'homme (CNCDH).
"Pour justifier les discriminations, la France s'appuie sur une
conception très particulière de la laïcité", commente John Dalhuisen,
directeur du programme Europe et Asie centrale pour Amnesty
international. "Au nom de ce principe, censé assurer la neutralité de
l'Etat et l'égalité des droits de chaque religion, on limite la liberté
d'expression des individus en leur appliquant des règles qui ne
devraient concerner que l'Etat et ses agents. C'est totalement
absurde. L'espace public appartient à tous."
Alors que le port de signes et de vêtements religieux
"fait partie du droit à la liberté d'expression et du droit à la liberté
de religion", plusieurs pays européens, suivant l'exemple français,
ont prohibé le port du voile à l’école et dans l’espace public.
Pourtant, selon Patrick Delouvin, responsable du pôle France à Amnesty,
"toute restriction au port de symboles et vêtements culturels ou
religieux à l'école devrait être fondée sur une évaluation au cas par
cas. Les mesures d'interdiction totale risquent de compromettre l'accès à
l'éducation des jeunes filles musulmanes et de porter atteinte à la
liberté d'expression et à leur droit d'exprimer leurs convictions."
En France, en Belgique et aux Pays-Bas, les
employeurs sont autorisés, en violation de la législation européenne, à
discriminer des musulmans sous prétexte que "les symboles religieux ou
culturels agaceront les clients ou les collègues", note l'organisation
de défense des droits de l'Homme. Les femmes musulmanes sont les
principales victimes de ces discriminations, particulièrement dès lors
qu’elles portent un voile. Une analyse qui concorde avec celle du
Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).
Dans son rapport 2012, l’association fait savoir que 94 % des cas
d’islamophobie sont dirigés contre les femmes. La législation
européenne, interdisant la discrimination fondée sur la religion, n'est
donc pas correctement appliquée. "Elle semble même inefficace, car nous
observons un taux plus élevé de chômage parmi les musulmans, en
particulier chez les musulmanes d'origine étrangère", poursuit Patrick
Delouvin.
L'organisation dénonce aussi l'accès limité fait aux musulmans pour prier, notamment en Suisse où la population a voté en 2009 contre la construction de nouveaux minarets.
Dans la province espagnole de Catalogne, l’insuffisance des lieux de
culte musulmans oblige les fidèles à prier dehors, et les demandes de
construction des mosquées se heurtent au refus des autorités, preuve du
traitement inégalitaire des pouvoirs publics entre les religions. "Les
autorités ne doivent pas refuser la création d’un nouveau lieu de culte
uniquement au motif que certains habitants du quartier concerné s’y
opposent", précisent les auteurs du rapport.
"Les gouvernements doivent s’abstenir d’adopter des
interdictions totales et veiller à ce que toute restriction soit
nécessaire et proportionnée à la réalisation d’un objectif reconnu par
le droit international relatif aux droits humains", recommande Amnesty,
qui "craint que, ces dernières années, les États se soient focalisés
exclusivement sur le port du voile intégral, comme si cette pratique
représentait l’inégalité la plus répandue et la plus manifeste que les
femmes doivent affronter en Europe". Ce débat en a évacué bien d'autres
qui pourtant préoccupent davantage les populations, à l'instar de la
crise économique, dont les musulmans sont aussi victimes.
Amnesty appelle aussi les partis politiques français
et européens à lutter contre les préjugés plutôt que de les encourager.
"Dans de nombreux pays européens prévaut l'idée que l'on veut bien
accepter l'islam et les musulmans tant qu'ils ne sont pas trop visibles.
Cette attitude est à l'origine de violations des droits humains. Il
faut la combattre", déclare John Dalhuisen. Et éviter toute exploitation
politique. Pour espérer se faire réélire, Nicolas Sarkozy, en
difficulté dans les sondages, a fait de nombreux appels du pied aux
électeurs du FN, parti qui a fait de la lutte contre l'islam son
principal cheval de bataille. Quant à François Hollande, il n'est pas
certain que le combat contre les discriminations islamophobes soit pour
lui une priorité. Il ne s'est toujours pas exprimé sur le projet de loi
"anti-nounous voilées", soutenu par les sénateurs socialistes.
"On peut critiquer l'islam en tant que religion,
cela fait partie de la liberté d'expression. Mais on n'a pas le doit de
discriminer les personnes et d'attenter à leur liberté religieuse",
conclut Patrick Delouvin, qui s'inquiète de la montée des actes
d'hostilité à l'égard des musulmans. Selon les chiffres du ministère de
l'Intérieur, 298 actes islamophobes ont été perpétrés en 2011 dans notre
pays, dont 262 contre des individus. Soit une augmentation de 20% par
rapport à l'année précédente.